Farid I., qui encourt la perpétuité, assure qu’il n’avait pas l’intention de tuer les fonctionnaires mais qu’il voulait alerter l’opinion publique sur la situation en Syrie et en Irak.
«C’est pour la Syria, c’est pour la Syria!» Le 6 juin 2017, c’est en lançant ce cri qu’un homme se rue sur Nicolas*, fonctionnaire de la préfecture de police de Paris qui patrouille sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame en compagnie de ses collègues Clémentine V. et Jérémy G. La première hurle : «Attention!», ce qui permet à Nicolas de «rentrer la tête» et de recevoir le coup de marteau derrière l’oreille gauche et non pas sur le crâne. Le second dégaine son arme et tire sur l’agresseur. Craignant que ce dernier ne réitère son geste, Nicolas fait feu à son tour. L’assaillant est neutralisé.
Trois ans et quatre mois après cette attaque, Farid I., 43 ans, comparaît devant la cour d’assises spécialement composée de ce lundi 12 octobre au mercredi 14 octobre. Son procès était programmé en février 2020, mais l’accusé a récusé son avocat dès le début de l’audience, ce qui a provoqué un renvoi. Poursuivi pour «tentatives d’assassinats terroristes sur personnes dépositaires de l’autorité publique» et «participation à une association de malfaiteurs terroriste», il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
«Le soldat du Califat»
L’accusé présente un profil atypique. Né en Algérie en 1977 dans une famille nombreuse et musulmane peu pratiquante, il a d’abord suivi des études de traduction dans son pays, puis des études de journalisme en Suède, où il a rencontré et épousé une jeune femme. Il a rapidement divorcé, est rentré en Algérie où il a travaillé pour le quotidien El Watan tout en créant un site d’information. En septembre 2013, il a commencé une thèse à l’université de Lorraine, travail qu’il a poursuivi en région parisienne à partir de septembre 2015.
Après l’attaque de juin 2017, son directeur de thèse, comme l’ensemble de ses proches, ont exprimé leur «incompréhension» face à cet acte. Nul n’avait repéré la radicalisation de Farid I., décrit comme assez isolé. Lors des investigations qui ont suivi l’attentat, les enquêteurs ont pourtant retrouvé au domicile du quadragénaire – situé dans une résidence étudiante à Cergy – une feuille déchirée représentant le drapeau de l’État islamique (EI) ainsi qu’un appareil photo contenant une vidéo d’allégeance à Abou Bakr Al Baghdadi, alors chef de l’EI.
Autre découverte sur une clé USB : six revues intitulées «Le soldat du Califat en Terre des Francs». Si Farid I. conteste en être l’auteur, les enquêteurs sont convaincus qu’elles sont bien signées de la main de l’Algérien. Dans le troisième numéro, qui contient des photos des auteurs des attentats de janvier 2015, on peut notamment lire cette phrase : «Sachez chiens de Français et d’Américains que nous sommes déjà chez vous, au pied de votre porte pour vous égorger et faire couler votre sang d’infidèles»…
Quatre procès terroristes cet automne
«Mon client espère que l’accusé reconnaîtra la tentative d’homicide. Jusqu’ici, il la conteste et prétend qu’il a seulement voulu blesser des policiers pour attirer l’attention de l’opinion. Son travail de préparation et de propagande dans les jours qui précédent l’attaque signe pourtant un acte d’une tout autre dimension!», souligne Me Thibault de Montbrial, conseil de Jérémy G. Le policier ne sera pas présent à l’audience. «Il a aujourd’hui quitté la capitale et sera entendu en visio-conférence. Il n’a pas souhaité se replonger pendant trois jours dans cette affaire très traumatisante», explique l’avocat.
Nicolas assistera en revanche au procès aux côtés de son avocate, Me Capucine Darcq. «Je veux croiser le regard [de Farid I]. Je veux apprendre à le connaître, comprendre pourquoi il en est arrivé là, savoir si aujourd’hui il a un semblant de regret», confie le jeune homme, qui est rentré dans sa région d’origine après l’attaque «pour être entouré de [ses] proches». «Bizarrement, je suis moins attaché à la peine que mon entourage. Je suis en colère contre [l’accusé] mais je n’ai pas de haine. Je m’en suis bien sorti. Ce n’est pas auprès de moi qu’il doit réparer ses erreurs, mais auprès de la société.»
Cet automne 2020 est très chargé en matière de procès terroristes : outre celui de Farid I., ceux de Sid Ahmed Ghlam et des attentats de janvier 2015 se déroulent actuellement à Paris. Le 16 novembre commencera par ailleurs le procès de l’attaque du Thalys. «Même s’il s’agit d’une coïncidence, puisque le procès de Farid I. devait se tenir en février, cela démontre à quel point l’atmosphère est lourde ces derniers temps», note Me Capucine Darcq. «Cette série illustre l’ampleur et la diversité de la vague terroriste islamiste qui a frappé la France depuis cinq ans», renchérit Me Thibault de Montbrial.
*Le prénom a été modifié