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Retours de Syrie, radicalisation : la justice des mineurs est-elle trop laxiste ?

By 13 décembre 2023janvier 6th, 2024Actualités
Avocat louis cailliez mickaelle paty procès

Photo : @Outside films

Après le procès des mineurs jugés dans l’affaire Samuel Paty, l’avocate de la famille de l’enseignant a dénoncé un verdict « pas à la hauteur du drame ». Si le qualificatif terroriste n’avait pas été retenu à l’encontre de ces adolescents, les peines prononcées illustrent le dilemme de la justice des mineurs impliqués dans ces affaires, entre mesures éducatives et sanctions.

« Un rendez-vous manqué. » Quelques jours après le procès de six ex-collégiens jugés pour leur implication dans l’assassinat de Samuel Paty, l’avocate de la famille du professeur d’histoire-géo, Virginie Le Roy, a fait part de sa déception dans Le Figaro. En cause : un verdict qui ne serait « pas à la hauteur des faits et du drame ».

L’affaire Paty : pourquoi une telle décision de justice ?

Cinq des adolescents, accusés d’avoir désigné Samuel Paty à l’assaillant contre rémunération, ont été condamnés pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées ». La qualification de « complicité d’assassinat terroriste » avait été retirée avant le procès, l’instruction étant dans l’impossibilité de démontrer que ces jeunes savaient qu’Abdoullakh Anzorov comptait tuer le professeur. L’un d’eux a écopé de deux ans de prison dont six mois ferme aménagés sous bracelet électronique, tandis que les quatre autres ont reçu des peines allant de 14 à 20 mois avec sursis probatoire, ce qui signifie que celui-ci est assorti d’une série d’obligations, comme le suivi par des professionnels de l’enfance.

Quant à l’ex collégienne qui avait menti en indiquant que Samuel Paty aurait demandé aux élèves musulmans de sortir de la classe avant de montrer des caricatures de Mahomet, elle a été condamnée à 18 mois de sursis probatoire pour dénonciation calomnieuse. Insuffisant pour la famille du professeur assassiné : « Même si la mineure n’a pas été condamnée pour une infraction de nature terroriste mais pour dénonciation calomnieuse, tous les collégiens et lycéens de France qui ont suivi cet attentat et ce procès savent désormais combien la justice est finalement indulgente et tendre envers la première responsable de la fatwa numérique mensongère et incendiaire qui s’est acharnée contre Samuel Paty jusqu’à son assassinat épouvantable », soupire auprès de Marianne Louis Cailliez, avocat de Mickaëlle Paty, la sœur de l’enseignant décapité.

Du côté des avocats des mineurs, âgés de 13 à 15 ans au moment des faits, on salue à l’inverse un « jugement équilibré »« Je comprends très bien la famille de Samuel Paty, concède Pierre-Olivier Kopp, avocat de l’un des adolescents. Pour autant, mon client n’était pas poursuivi pour terrorisme, mais pour une association de malfaiteurs en vue de commettre de violences. Tout le procès a montré que dans ses motivations d’un acte peu moral, il n’y avait aucune conscience du fait que les choses allaient se terminer ainsi. » Dylan Slama, conseil d’un autre des ex-collégiens, condamné à 20 mois avec sursis probatoire, salue, lui, une « peine qui reconnaît sa culpabilité mais qui ne va pas entraver son insertion sociale ».

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Si les mineurs dans l’affaire Samuel Paty n’ont donc pas été condamnés pour terrorisme ni évalués comme radicalisés, cette actualité relance les débats sur la prise en charge des mineurs dans des affaires liées au terrorisme. Entre le principe de précaution pour éviter des passages à l’acte, les demandes de sanction de l’opinion publique et le travail éducatif inhérent à la justice des mineurs, l’équilibre est difficile à trouver. « Un tribunal pour enfants a deux fonctions : la sanction et l’éducation des jeunes », souligne Pierre-Alexandre Kopp.

De plus en plus de mineurs mis en cause

Une matière d’autant plus sensible que la question des mineurs concernés par des affaires de terrorisme – qu’ils soient poursuivis pénalement ou suivis pour des risques de passage à l’acte – se pose de manière bien plus importante depuis la dernière décennie, notamment en raison des retours de Syrie ou d’Irak. « Quelques mineurs pouvaient certes apparaître à la marge des dossiers basques, kurdes ou concernant l’islamisme violent mais ces cas demeuraient exceptionnels, affirmait un article publié par trois spécialistes de la question dans Les cahiers de la justice en 2017. Par contraste, la situation qui prévaut depuis le déclenchement du conflit syrien est saisissante. »

Plus récemment, le 7 novembre dernier, Jean-François Ricard, le procureur national antiterroriste, affirmait sur RTL constater depuis trois ans « une augmentation très sérieuse de la proportion de très jeunes majeurs ou de mineurs dans des projets d’action violente. »

Selon les chiffres communiqués à Marianne par le ministère de la justice, au 16 octobre 2023, 519 mineurs ou jeunes majeurs étaient suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour « des faits en lien avec la radicalisation ». Un chiffre qui recouvre des réalités très différentes, et donc pas seulement des faits de terrorisme à proprement parler. Parmi eux, 283 sont des mineurs de retour de zone qui bénéficient d’une assistance éducative. Environ une centaine sont suivis par la PJJ en droit commun mais ont été repérés pour des risques de radicalisation. Viennent ensuite 70 mineurs suivis pour apologie du terrorisme et 45 suivis dans un cadre civil du fait d’un risque de radicalisation. Autrement dit, il n’est pas reproché d’infractions pénales à ces derniers mais ils font l’objet d’un suivi. Enfin, viennent 22 mineurs suivis pour association de malfaiteurs terroristes.

Quels dispositifs de suivi pour les mineurs ?

En fonction de leur situation – condamnés ou pas, incarcérés ou non – différents dispositifs existent pour les accompagner ainsi qu’empêcher ou interrompre une éventuelle radicalisation. Les mineurs de retour de zone ont souvent été placés dans des familles ou des structures d’accueil, les parents étant généralement mis en examen et incarcérés à leur arrivée. Selon le ministère de la Justice, 90 % des 283 mineurs de retour de zone cités plus haut sont scolarisés, la plupart en école maternelle et primaire.

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Au vu de la diversité des situations, on insiste au ministère de la Justice sur l’ « individualisation de la prise en charge ». Cette approche « permet, à partir d’une évaluation pluridisciplinaire précise de la situation (contexte familial, social, état de santé psychique) et en tenant compte des impératifs de la décision judiciaire, de bâtir une stratégie éducative pour chaque adolescent, qui implique la famille dans le déroulement de la mesure, qu’elle soit civile ou pénale, que le mineur soit ou non placé en établissement ou en détention. » indique une note de la directrice de la PJJ en 2017.

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Les mineurs radicalisés ou repérés pour des risques de radicalisation font très souvent l’objet d’une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) afin d’évaluer leur situation et, le cas échéant, de permettre aux juges de choisir une protection, comme le placement dans un établissement. Depuis 2015, la PJJ bénéficie également d’une mission nationale de veille et d’information composée de référents laïcité et citoyenneté, destinés à accompagner les professionnels sur le terrain au contact de ces profils.

Pour autant, malgré l’individualisation du suivi et des dispositifs très différents, quelques règles reviennent régulièrement dans la prise en charge des mineurs radicalisés ou courant un risque de radicalisation. La PJJ évite par exemple de les isoler ou de tous les regrouper au sein des mêmes structures. « Même s’il y a toujours une crainte de prosélytisme, ce n’est pas en parquant les gens ensemble qu’on fait de très belles choses », confie un ancien professionnel du secteur.

Des mesures qui divisent

Cet ensemble de dispositifs est essentiel pour Maître Pierre-Alexandre Kopp au vu de la spécificité du public mineur. « Il y a besoin du suivi par les éducateurs, pointe l’avocat. Le propre des enfants est qu’il suffit qu’ils aient un coup au moral pour que potentiellement ils lâchent le fil. »

Pour autant, ces dispositifs ne font pas nécessairement consensus. En avril dernier, l’avocate Marie Dosé s’insurgeait de la création d’un nouveau fichier pour « mineurs de retour de zones d’opérations de groupements terroristes » destiné à mieux les prendre en charge. « Je peux vous assurer que leur prise en charge a besoin d’être améliorée mais qu’elle a besoin de tout sauf d’un fichier, affirmait-elle à FranceinfoCe n’est pas la priorité et c’est même contreproductif. Nous avons besoin d’éducateurs, de rapprocher ces enfants de leurs familles. Ce n’est pas en fichant ces enfants que la prise en charge sera bénéfique, vraiment pas»

Dans un mémoire intitulé « Terrorisme et justice des mineurs » pour l’université Aix-Marseille, Apolline Schirrecker s’interrogeait pour sa part sur « la pertinence du placement en détention provisoire de mineurs entrés dans un processus de radicalisation ».

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À l’inverse, Maître Louis Cailliez estime que la justice des mineurs, en particulier dans des affaires liées au terrorisme, devrait être plus « répressive » lorsqu’il y a des poursuites pénales. « La dimension éducative est essentielle au Tribunal pour enfants, mais la dimension répressive ne doit pas disparaître pour autant : plusieurs mineurs du procès Paty ont ainsi éprouvé un vrai soulagement d’admettre publiquement leur faute devant la famille du professeur et ont reconnu à la barre qu’ils avaient besoin de la condamnation pénale pour se libérer du fardeau et se reconstruire psychologiquement, affirme l’avocat auprès de MarianneUn mineur qui veut devenir un homme a souvent besoin d’un aspect véritablement punitif dans sa condamnation pour pouvoir se dire qu’il s’est racheté et ainsi tourner la page. » Autant de points de vue entre lesquels les juges des enfants doivent se frayer un chemin pour une décision la plus juste possible.

Source Marianne