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EXCLUSIF – Un an après le contrôle qui s’est soldé par la mort de l’adolescent, les deux policiers s’accordent dans leur version de la légitime défense, selon des documents consultés par Le Figaro. De nouvelles expertises audio et vidéo ont été réalisées.
Quand Florian M. rejoint la brigade des motocyclistes de Nanterre en septembre 2022, un visage lui est familier. Celui de Julien L. rencontré six ans plus tôt lors d’une formation au sein de la police nationale. Entre le premier, «discret et réservé», et le second qui s’affiche comme le «boute-en-train» de la bande, l’alchimie n’est pas immédiate. Bien intégré dans cette unité soudée, Julien L., quadragénaire célibataire, a pour habitude de réunir ses collègues autour de fêtes et de sorties auxquelles Florian M., 38 ans et père d’un enfant de 5 ans, participe peu. «Il ne se mettait pas à l’écart mais il a fallu un temps d’adaptation. Ce n’était pas celui qui faisait le plus de blagues, mais petit à petit, il parlait plus», se souvient Julien L. dans le cadre d’une expertise psychologique dont Le Figaro a pu consulter le rapport. Différents dans leurs modes de vie mais complémentaires sur le terrain, les deux hommes se retrouvent à travailler en binôme.
Le caractère «calme et posé» de Florian M., ancien militaire dans l’armée de terre, entré dans la police à 24 ans, rassure Julien M., agent depuis 2015. «Avec Flo, c’était très carré, très pro. J’aimais sa manière de travailler, de contrôler en sécurité. Jamais un mot plus haut que l’autre» de la part du brigadier Florian M. qui rêvait de revêtir l’uniforme depuis son plus jeune âge. «Ce que j’aime, c’est aider les gens. J’ai mal au cœur quand je vois les gens se faire agresser pour rien. Vous êtes une famille, vous vous promenez dans la rue et quelqu’un vous vole, vous frappe ou vous tue gratuitement. Je voulais être là pour apporter quelque chose», livre-t-il à son tour devant l’expert psychologue.
Une ambition partagée par Julien L. qui, dès l’adolescence, a associé la police à moto au «prestige», à «la classe». En mission, il prend à cœur de «sanctionner les fautes au code de la route. Ça participe à protéger». Ce métier, le quadragénaire «un peu cow-boy» selon une source proche du dossier, l’a dans la peau. Jusqu’à se faire tatouer le visage de Saint Michel, symbole des forces de l’ordre, autour duquel il fait écrire en latin «Il veille sur la patrie».
Une «violence inouïe» et un drame
Mais le 27 juin 2023, tout bascule. En début de matinée, le binôme prend son service après une semaine éprouvante durant laquelle il a effectué «50 ou 60 heures supplémentaires». Si Julien L. a pu poser un jour de repos à la fin de la mission, Florian M. lui en est à son neuvième jour de travail consécutif. À peine montés sur leurs motos, ils remarquent une Mercedes jaune qui roule à vive allure dans les rues de Nanterre. Au volant, Nahel, 17 ans et sans permis, qui multiplie les infractions au code de la route ; en passagers, deux amis de 14 et 17 ans. Nahel était connu des services de police pour des faits similaires, le fichier des antécédents judiciaires mentionnant quatre refus d’obtempérer ; certains avaient été classés sans suite, mais l’un d’entre eux avait débouché sur la mise en place d’une mesure éducative prononcée par un juge des enfants, selon Europe 1. Le jour du drame, une course- poursuite s’engage jusqu’à ce que la voiture de l’adolescent soit bloquée par la circulation à l’angle du passage François-Arago et du boulevard de La Défense.
Florian M. et Julien L. s’avancent au niveau du véhicule et braquent le conducteur de leurs armes. Le premier tire tandis que la Mercedes jaune redémarre pour aller s’encastrer sur un bloc de béton à quelques dizaines de mètres. Nahel est mort, touché d’une balle en pleine poitrine. Immédiatement, les policiers affirment s’être trouvés dans une situation de danger imminent, face à un véhicule qui tentait de leur foncer dessus. Des vidéos de la scène montrant les fonctionnaires positionnés sur le côté de la voiture à l’arrêt contredisent leur récit et déclenchent une vague d’insurrection dans le pays pour dénoncer les violences policières. «Comment en est- on arrivé à cette violence inouïe lors d’un simple contrôle ? Dans cette affaire, un policier a tiré à bout portant sur un enfant, sur une zone létale», s’insurge Me Nabil Boudi, avocat de la mère de Nahel.
Depuis un an, Florian M. est mis en examen pour «homicide volontaire», Julien L. a été placé sous le statut de témoin assisté pour «complicité de meurtre». Une qualification que tous deux contestent encore à ce jour, plaidant la situation de légitime défense. «Julien L. s’est toujours défendu d’avoir commis la moindre violence illégitime : tout comme son collègue, son seul et unique objectif a été de faire cesser le périple ultra dangereux du conducteur de ce bolide et il a réagi avec sang froid pour ce faire», commente au Figaro son avocate Me Pauline Ragot.
J’espère qu’il y aura une justice pour mon fils. Mon enfant me manque, c’est trop dur. Ce n’était pas un voyou ou une racaille.
La mère de Nahel devant le juge d’instruction.
La mère de Nahel, elle, attend «une justice pour [s]on fils». Lors de son audition devant le juge d’instruction, Mounia livre sa douleur depuis la mort de son unique garçon qu’elle a élevé seule. «Ce n’était pas un voyou ou une racaille.» «Fan de moto», il s’imaginait en «cascadeur dans les films». Après plusieurs échecs au lycée, Nahel avait entamé en 2022 une «année sabbatique» durant laquelle il exerçait le métier de livreur pour Uber Eats. Sa mère lui avait finalement trouvé «une place dans une école de la deuxième chance qu’il aurait dû intégrer en septembre 2023 (…) Qu’est-ce que je vais faire sans mon fils ? Je suis perdue sans mon bébé», livre-t-elle en larmes devant le juge.
«Une bombe roulante»
Une issue tragique dont la responsabilité incombe, selon les déclarations des deux policiers, au comportement dangereux de l’adolescent. «La fin est dramatique mais ce sont ses actes qui ont mené à cette fin», tranche Julien L. «Il a manqué de renverser à vive allure au moins deux personnes», justifie Florian M. qualifiant Nahel de «bombe roulante». «Je sais que s’il était reparti ça aurait été encore pire, il aurait percuté quelqu’un ou même tué quelqu’un. J’ai dû lui ôter la vie mais je pense vraiment que j’en ai sauvé d’autres», présume-t-il. Face à l’attitude du brigadier, l’expert psychologue constate – dans un rapport auquel Le Figaro a eu accès – qu’il «ne s’adresse pas d’auto-reproche, ne se sent pas saisi par un malaise, même diffus». Mettre fin au comportement de Nahel «s’est émis en Florian M. comme un impératif (…) quitte à produire un acte occasionnant potentiellement la mort.»
Devant l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), Florian M. a également justifié son tir par la nécessité de protéger son coéquipier qui avait le haut du corps dans l’habitacle et qui allait être emporté quand la voiture a redémarré, selon lui. Mais, confronté à l’une des vidéos de la scène, Florian M. a finalement admis que son collègue s’en était déjà extrait au moment où il a fait feu. Le mis en cause argue désormais qu’il s’est lui-même «senti partir en arrière, poussé par le véhicule vers le mur qui se trouvait assez près» après que Nahel a remis le contact. Il lâche : «Je ne peux pas regretter quelque chose qu’on m’a poussé à faire.» Mais pour Me Nabil Boudi, la reconstitution qui s’est déroulée le 5 mai dernier, a au contraire permis d’établir que le policier «n’était pas en danger». Son avocat, Me Laurent-Franck Liénard, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Le policier a dit “shoote-le” et c’est à ce moment-là que l’autre policier a tiré.
L’un des passagers de Nahel devant le juge d’instruction.
L’enquête tente par ailleurs de déterminer si l’attitude de Julien M. a pu participer à la décision de Florian M. d’appuyer sur la détente. Plusieurs témoins affirment l’avoir entendu répéter l’injonction d’ouvrir le feu. Selon le récit d’un des passagers dans la voiture de Nahel, Julien L. «a directement mis un coup de crosse» au conducteur tandis que Florian M. lui ordonnait de couper le moteur. «Comme il était un peu sonné, Nahel s’est penché de mon côté pour essayer de se protéger. Il [Julien L., ndlr] a essayé de lui mettre un coup de crosse dans la tête mais comme il se protégeait, ça a tapé le nez. Le policier a dit “shoote-le” et c’est à ce moment-là que l’autre policier a tiré».
Une autre témoin, réentendue début avril, maintient elle aussi avoir entendu Julien L. crier «shoote-le» ainsi que «Je vais te mettre une balle dans la tête». «Il l’a répété plusieurs fois (…) Le ton de sa voix exprimait une sorte de colère en lui.» Même témoignage de la part d’un livreur qui se trouvait derrière la voiture de Nahel.
Auditionné le 22 avril, il rapporte ces propos imputés à Julien L. : «Ouvre la porte, ouvre-nous la portière», «coupe le contact ou je vais te mettre une balle dans la tête », puis «shoote-le». Des termes qu’il réfute catégoriquement. «Je me souviens avoir dit “coupe, coupe, coupe”, mais pourquoi j’aurais dit “shoote-le” alors que je risquais de me prendre une balle ?», se défend Julien L. en expliquant qu’il se trouvait à ce moment-là dans la trajectoire du tir. Son avocate Me Pauline Ragot insiste auprès du Figaro sur le fait qu’il «n’a jamais été mis en examen dans ce dossier, ce qui prouve bien depuis le départ que rien ne vient objectiver la complicité de meurtre.»
Toutefois, confronté à l’une des vidéos de la scène, l’agent concède entendre les termes «balle dans la tête», sans l’expliquer. Interrogé sur ce point, son collègue rétorque ne pas en être l’auteur. «Je vous regarde droit dans les yeux et je vous le dis, je n’ai pas dit ces mots. Ma position est très ferme, à 100%.» Analysés par un expert, les sons captés par les vidéos n’ont toutefois pas permis de distinguer avec certitude les propos des policiers. «Même si nous avons augmenté l’audibilité des propos présents, nous ne sommes pas parvenus à les rendre intelligibles», conclut le rapport rendu en février.
Le «courage et la résilience» d’une mère
D’autres expertises sont encore attendues pour étoffer l’enquête, notamment un rapport d’accidentologie visant à analyser toutes les manœuvres effectuées par Nahel dans sa voiture au moment du contrôle. Le mis en examen a été placé sous contrôle judiciaire après cinq mois de détention provisoire. «Il dort très mal, il est perdu, je suis très inquiète pour lui», confie sa mère lors d’un entretien réalisé durant l’instruction et révélé par Le Figaro. Florian M. et sa compagne ont par ailleurs été contraints de vendre leur maison et de quitter la région où ils habitaient après que leur adresse a été divulguée. «C’était un endroit sympa, calme, avec de super voisins. J’adorais cet endroit. On a dû tout quitter», déplore la jeune femme. Julien L. a quant à lui demandé sa mutation en province où il exerce un poste similaire à ses précédentes fonctions.
Mounia, la mère de Nahel, vit au rythme de la procédure depuis un an, commente Me Nabil Boudi qui salue «le courage et la résilience» de sa cliente. À 45 ans, elle attend la conclusion de cette enquête qui devrait arriver à son terme d’ici à la fin de l’année, selon une source proche du dossier, avant de déboucher sur un éventuel procès. Et après ? Entre les sanglots de Mounia, un murmure : «Je suis vide. Moi, je ne verrai plus mon fils.»