© AFP – LOU BENOIST
Le commissaire Grégoire Chassaing est jugé à Rennes, depuis lundi 10 juin, pour homicide involontaire dans la mort de Steve Maia Caniço, lors de la Fête de la musique à Nantes, en juin 2019.
Le Procureur de la République a requis une « peine de principe » contre le policier, laissant, de façon inhabituelle, les juges du tribunal en fixer la teneur. Au dernier jour du procès, l’avocat du commissaire de police pointe les incertitudes de l’accusation et les imprécisions des témoins.
Le procès du commissaire de police, ouvert il y a cinq jours, s’achève ce vendredi 14 juin avec la plaidoirie de la défense. La veille, jeudi, le Procureur Philippe Astruc a requis « une peine de principe » contre le commissaire et a laissé à la Cour la charge d’en fixer la teneur. À l’heure des réquisitions, le procureur de la République a demandé au tribunal correctionnel de Rennes de condamner Grégoire Chassaing pour homicide involontaire. Le commissaire divisionnaire n’est « ni un lampiste ni un bouc émissaire », a indiqué Philippe Astruc, avant de préciser : « mais il n’est clairement pas seul à porter le poids de ce décès. » La ville de Nantes et la préfecture, note-t-il, avaient connaissance de l’installation des sound systems sur un quai le long de la Loire, dont une partie est dépourvue de garde-corps.
« Un accident mystérieux, malheureux »
Au dernier jour du procès, la longue silhouette de l’avocat Louis Cailliez s’avance face aux juges. Son client a dirigé l’intervention des policiers pendant laquelle Steve Maia Caniço est mort noyé. L’avocat du commissaire cite d’abord Albert Camus, un écrivain qui rencontre souvent le succès dans les plaidoiries des avocats. « Mal nommer un objet, c’est ajouter aux malheurs de ce monde », avait dit Camus en 1944.
Contestant le chef d’accusation d’homicide involontaire retenu contre son client, l’avocat parisien en rappelle ensuite les exigences en droit : pour Me Louis Cailliez, « l’homicide involontaire, c’est le pénal qui rentre avec effraction dans ce qui n’a été voulu par personne. C’est pour cela qu’il y a des gardes-fou, pour éviter de pénaliser tous les accidents mortels. » Pour conclure sa plaidoirie, il affirmera d’ailleurs que « ce qui a tué Steve Maia Caniço, c’est un accident mystérieux, malheureux ».
Les zones d’ombre subsistent
Le « gardes-fou », pour éviter de condamner le protagoniste d’un « accident mystérieux », consistait d’abord à établir un lien de cause à effet entre la mort de Steve Maia Caniço et la charge de la police pendant la Fête de la musique, à Nantes, durant cette nuit de juin 2019. Me Cailliez le martèle, aucun lien n’a pu être établi avec certitude, au cours de ce procès. Les cinq jours d’audience auront en effet laissé des zones d’ombres majeures : sur quelle partie du quai de la Loire était Steve Maia Caniço au moment de sa chute ? Près du « bunker » où les policiers ont concentré les jets de grenades lacrymogènes, 33 au total, ou plus loin, en direction de la rue de Guyane ? Le jeune animateur périscolaire était-il en train de danser près du « mur de son » installé dans le bunker, comme le pensent certains témoins, ou était-il endormi au bord de la Loire, comme l’ont vu deux de ses amis, sans pouvoir préciser à quel moment de la nuit, ils l’ont vu dormir ?
Gaz lacrymogènes
Pour Me Cailliez, « la téléphonie » de Steve Maia Caniço tendant à indiquer qu’il ne se déplaçait pas à partir de 3h48 du matin, soit 40 minutes avant sa chute, il est « hautement probable » que le jeune homme dormait, à proximité du quai. À cet endroit, « il n’a pas pu être affecté par les gaz lacrymogènes », conclut l’avocat parisien. Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, les forces de police, sous le commandement de Grégoire Chassaing, sont intervenues sur un quai de Nantes, pour faire cesser la musique. Dans la confusion de la charge policière, plusieurs participants à la Fête de la musique tombent dans la Loire, dont Steve Maia Caniço, 24 ans, qui meurt noyé.
« Conjecture, extrapolation, supposition »
La veille, le Procureur de la République a rappelé qu’une seule grenade lacrymogène MP7 couvre mille mètres carré de superficie, et qu’au moins huit grenades ont été tirées non loin du quai. Concentrant ses attaques contre les arguments du Parquet, et non contre ceux des avocats de la famille de Steve, Me Cailliez martèle que le procès n’a apporté aucune preuve : « pure hypothèse, conjecture, extrapolation, supposition, parti pris », chaque point de l’accusation est questionné. Dans la multitude des témoignages, celui de Camille B et celui de Ludovic S ont introduit le doute sur le déroulé de la soirée de Steve Maia Caniço. Deuxième exigence du droit pour retenir l’homicide involontaire : la faute caractérisée. Celle qu’aurait commis le commissaire Grégoire Chassaing, en demandant à ses hommes « d’y retourner », lorsque l’un des sound systems a remis la musique en route. Dans ce second volet de sa plaidoirie, Me Cailliez évacue la responsabilité du commandant vis-à-vis de la sécurité de ses hommes et de celle de la foule amassée le long de la Loire.
« Reconquérir du terrain »
Les critiques de l’accusation se sont concentrées sur la volonté du commissaire de « reconquérir du terrain », autour du bunker et en direction du fleuve. Les policiers étaient en nombre insuffisant pour gérer les mouvements de foule. Et certains participants leur ont crié que la Loire à proximité représentait un danger. Sur ce point, Me Cailliez plaide l’imprudence, rappelant les jets de pavés et de bouteilles sur les forces de l’ordre. Il estime que la décision du commissaire Chassaing « est la réaction de quelqu’un qui est agressé, la violence affecte sa capacité », citant des réactions physiologiques comme « l’adrénaline, la réduction du champ de vision. » Rappelant que le commissaire de police est seul sur le banc des prévenus, ce qui est pour lui une injustice, le jeune avocat demande aux trois magistrates qui l’écoutent « d’avoir le courage de mettre un terme à cela. » Et réserve ses derniers mots à son client, lui promettant que « quel que soit le jugement, dans quelques mois, tu seras délivré, car la vérité rend libre ».
Mis en délibéré, le jugement sera rendu le vendredi 20 septembre 2024.
Au dernier jour du procès du commissaire Grégoire Chassaing, l’avocat de la défense a plaidé la relaxe de son client, martelant que le lien de cause à effet n’a pu être établi entre la mort de Steve Maia Caniço dans la Loire et l’intervention des policiers commandés par le commissaire, à proximité du fleuve. • © Valentin Pasquier / France Télévisions
Mort de Steve à Nantes. « Le commissaire Chassaing paie les pots cassés », tance son avocat
Il a pris beaucoup de coups depuis cinq ans. Par la voix de son avocat, le commissaire Grégoire Chassaing, mis en cause pour la mort par noyade de Steve Maia Caniço en juin 2019 à Nantes, a tenté de démontrer, ce vendredi 14 juin, l’absence de lien avec l’intervention policière. Et de fautes dans la gestion des événements. Réponse le 20 septembre.
Il y a quelque chose d’étourdissant dans un procès pour homicide involontaire. « C’est le pénal qui rentre par effraction dans quelque chose qui n’a été voulue par personne », estime Louis Cailliez en début de plaidoirie, ce vendredi 14 juin, à Rennes.
« Le danger existait avant la police »
« Il a bon dos Grégoire Chassaing »
Me Louis Cailliez, avocat de Grégoire Chassaing – commissaire, jugé pour homicide involontaire après le drame de la Fête de la musique 2019 à Nantes – a plaidé la relaxe, vendredi 14 juin 2024. Son client, dit-il, n’a commis aucune « faute caractérisée ». Le décès de Steve, estime-t-il, est « un accident malheureux, indépendant de l’action de la police ». Le jugement sera rendu le 20 septembre 2024.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ». Ce vendredi 14 juin 2024, Me Louis Cailliez, avocat de Grégoire Chassaing, commissaire divisionnaire jugé pour homicide involontaire après la mort de Steve Maia Caniço la nuit de la Fête de la musique 2019 à Nantes, démarre tambour battant sa plaidoirie en citant l’écrivain Albert Camus. « Mal nommer ce qui s’est passé le 22 juin 2019 », reprend-il, « c’est ajouter à un malheur une injustice. Une injustice insupportable ».
« L’homicide involontaire, l’un des plus terribles délits qui soit »
Me Cailliez plaide sans surprise la relaxe ; sa plaidoirie est parfaitement calibrée. Il sait, dit-il, « la douleur innommable, inqualifiable, incomparable » » que représente la mort de Steve Maia Caniço pour ses proches. Et fait habilement sienne la déclaration de Me Cécile de Oliveira, avocate de la famille de Steve qui, la veille, a résumé « de manière juste l’homicide involontaire comme l’un des plus terribles délits qui soit ». Les poursuites engagées à l’égard de son client, estime-t-il, sont liées à « l’envie irrépressible de mettre du pénal là où il n’y en a pas ». Pas question de laisser la culpabilité de son client reconnue, et de le voir condamner à « une peine de principe », ainsi que l’ont requis le procureur de la République de Rennes et son adjoint, jeudi 13 juin. Car, pour Me Cailliez, « tout porte à croire que Steve Maia Caniço est tombé à l’eau, indépendamment de l’action de la police, et a fortiori de celle de Grégoire Chassaing ».
« On est tous face à des sentiments dans ce dossier »
L’avocat défend la théorie d’une chute accidentelle en positionnant Steve Maia Caniço à hauteur de la rue de la Guyane, non loin de la grue Titan grise. Là, à 4 h 33, heure où Steve est tombé dans la Loire, la progression effectuée par les policiers dirigés par Grégoire Chassaing « n’est pas génératrice d’un mouvement de foule » et cette zone précise « n’est pas affectée par les gaz lacrymogènes à 4 h 33 et 14 secondes ». L’avocat cite à l’appui de sa démonstration les témoignages de proches de Steve. Celui d’une amie qui rapporte qu’en soirée, Steve Maia Caniço s’endormait « un peu là où il voulait » et qu’il mettait « toujours du temps au réveil », y compris « pour se situer dans l’espace ». La nuit de la Fête de la musique, Steve, rappelle Me Cailliez, a indiqué par SMS à des amis qu’il était épuisé et qu’il allait se reposer un peu à l’écart des sound systems. L’avocat s’engouffre dans les trous de mémoire d’un autre camarade de Steve, cinq ans après les faits, pour soutenir que Steve se tenait, « quelques minutes avant la chute, la tête à un mètre au bord du quai » », dépourvu de barrières et non éclairé, faisant fi de la déposition initiale de l’intéressé qui situait cette scène bien avant l’heure du drame. « Cet ami a dit que c’était dangereux et que Steve aurait pu tomber tout seul », énonce Me Cailliez. L’avocat ne prétend pas que « c’est la vérité mais c’est hautement probable », et note : « On est tous face à des sentiments dans ce dossier ».
« Un accident mystérieux, un accident malheureux »
Sur le fond du dossier, il assène que « pénalement parlant », le lien de causalité entre l’intervention policière et la chute de Steve Maia Caniço n’est « pas certain ». Or, si le lien de causalité est « diffus, c’est la relaxe avant même d’apprécier la faute ». « À supposer que ce lien de causalité soit retenu », ajoute Me Cailliez, « il n’y a en tout état de cause pas de faute caractérisée » du commissaire. « Ce qui a tué Steve Maia Caniço, c’est un accident mystérieux », avance-t-il, avant d’opter pour une formulation moins déplacée : « Un accident malheureux qui, pénalement parlant, est sans rapport avec la police et encore moins avec Grégoire Chassaing » ». « Il n’y a rien dans ce dossier », affirme encore Me Cailliez, estimant que les fautes reprochées à son client sont « réduites à peau de chagrin ». Face à la réticence des DJ à couper le son, le commissaire, rappelle-t-il, a passé un message à sa hiérarchie pour indiquer son intention « de faire baisser la pression ». Un repli, à ses yeux, a été orchestré, le commissaire pensant « avoir mis une distance suffisante en se plaçant derrière le bunker du quai Wilson ».
« L’émotion l’emporte en première instance, et le droit en appel »
Après avoir versé au dossier 40 attestations de collègues du commissaire rapportant que ce dernier est un fonctionnaire « calme, pondéré, lucide, réfléchi », Me Cailliez interpelle la présidente du tribunal : « Est-ce que la justice française, dans un dossier si particulier, va dire, comme la défense le croit, qu’il n’y a pas de coupable pénal dans le décès tragique, épouvantable de Steve Maia Caniço ? » Et de proclamer à l’adresse du tribunal : « Votre relaxe ne sera pas un aveu de faiblesse, un aveu d’échec, mais l’humble reflet de la vérité factuelle, de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas ». Le délibéré sera rendu le vendredi 20 septembre 2024. Si condamnation il y a, nul doute que Me Cailliez fera appel. Avant de conclure, il a cru bon de délivrer ce message : « L’émotion l’emporte en première instance, et le droit en appel ».
Autres articles de presse sur cette plaidoirie de Maître Louis Cailliez :
Europe 1 : Mort de Steve Maia Canaiço à Nantes : le jugement sera rendu le 20 septembre
Le Figaro : La défense du commissaire Chassaing plaide la relaxe au plus près du dossier