Le secrétaire départemental de la CGT Énergie 33, Christophe Garcia, et Alexandre Truch, « l’étoile montante du syndicat » selon son avocate, Me Magali Bisiau, étaient convoqués devant le tribunal correctionnel, mardi 21 novembre. La décision a été mise en délibéré au mois de janvier
« J’ai jamais coupé l’électricité », jure Alexandre Truch. « J’y connais pas grand-chose », assure Christophe Garcia. Les deux syndicalistes de la CGT Énergie 33 étaient convoqués ce mardi 21 novembre 2023 devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour dégradations, dans le cas présent des coupures de l’alimentation électrique en divers endroits de la ville lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, et pour mise en danger de la vie d’autrui.
Dans le cadre du mouvement social, de nombreuses coupures ont été médiatisées et revendiquées. Elles ont affecté des dizaines de milliers de foyers et eu un impact sur la gare Saint-Jean, l’aéroport, les CRS à Cenon, des hypermarchés de l’agglomération, des commerces et banques du centre-ville, l’usine d’incinération de Bègles.
Mais le 23 mars, c’est la mairie de Bordeaux, le palais de justice et surtout l’hôpital Saint-André qui ont été touchés sans que le générateur de secours ne fonctionne correctement. D’où le risque pour une vingtaine de patients.
La technique de la tortue
À chaque coupure, le mode opératoire était le même. En pleine manifestation, à l’approche des postes de transformation de distribution publique, dont l’accès se fait par le sol avec une clé de sécurité, des militants formaient comme une tortue sous une banderole ou un drapeau syndical afin d’agir en toute discrétion. Ni vus ni reconnus.
En mai dernier, les policiers ont interpellé cinq militants. Il n’en reste que deux devant le tribunal. « Je n’ai jamais été sous la tortue, à aucun moment, affirme Christophe Garcia, le secrétaire départemental. J’étais à la manif mais je n’ai eu connaissance que pendant le cortège de ce qui avait été fait. Ce n’était pas concerté, pas discuté. On vote le principe en assemblée générale sans jamais préméditer l’endroit. »
« Je me doutais qu’il y aurait des coupures, mais je ne savais pas où, explique Alexandre Truch. Et je ne pense pas que c’était intentionnel de couper l’électricité à l’hôpital. » Marqué par son interpellation devant sa famille, il déclare ne pas être prêt « à remettre les pieds dans une manif ». Après cette convocation en justice, les deux hommes ont rendez-vous jeudi 23 novembre pour un entretien préalable.
Dix-huit mois requis
Me Louis Cailliez défend les intérêts d’Enedis « à sa juste place sur le banc des parties civiles. CGT Énergie 33 a tout revendiqué sauf l’hôpital, car c’est moins glorieux. Des oreilles ont dû siffler quand on a constaté les dégâts ». Il exhorte le tribunal de ne pas être dupe du « délégué fantoche qui est en fait l’organisateur et commanditaire ».
Me Anne-Julie de Abreu insiste sur l’angoisse du personnel de Saint-André de perdre des patients à cause de la coupure d’électricité dans l’hôpital. « Le droit de manifester est fondamental mais n’autorise pas tous les moyens possibles pour faire plier le gouvernement », gronde le vice-procureur Olivier Bonithon. « Si on résume, c’est peut-être quelqu’un d’autre mais ce n’est pas eux. Le magistrat estime que l’enquête « soignée » et « en entonnoir » a livré les bons coupables. Il requiert dix-huit mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende en plus pour le responsable syndical, également jugé pour avoir pénétré dans un poste sans autorisation.
Me Jérôme Borzakian, qui plaide la relaxe, entend « remettre l’église au milieu du village » et « réparer les erreurs d’aiguillage du parquet, qui dit des choses qui n’ont aucun sens juridique. Les deux prévenus sont les dindons de la farce politique. Ils ne savent pas faire, ils se seraient cramés ! »
L’avocat rappelle que couper l’alimentation n’entraîne pas de dégradation, souligne que si la morale peut réprouver cette action qui a touché l’hôpital, la justice ne peut la réprimer. Me Magali Bisiau, également en défense, s’étonne que le même sort judiciaire n’ait pas été réservé à tous. Elle estime n’avoir aucune preuve du rôle actif de ses clients. « Quelque chose de revendiqué par le syndicat n’est pas pour autant avoué individuellement. » Le tribunal a mis sa décision en délibéré au mois de janvier.
Le soutien de Fabien Roussel
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, s’est mêlé ce mardi 21 novembre 2023 à la foule des militants de la CGT, venus en soutien à deux de leurs camarades convoqués devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Banderoles, fumigènes, tambours et musique, slogan « je suis Alex » ou « je suis Christophe », épinglé sur la poitrine : quelque 350 supporteurs ont fait durant de longues heures le siège du tribunal judiciaire. Assurant l’animation jusqu’à l’annonce de la mise en délibéré du jugement, ils ont tenu à dire, crier, scander, chanter leur mécontentement face à la « criminalisation de l’action syndicale ». Là où la justice voit des infractions pénales, eux voient la « reprise en main de l’outil de travail », votée en assemblée générale et revendiquée a posteriori par le syndicat.