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Une audience extrêmement sensible doit se tenir au printemps à Marseille. Des policiers haut gradés de la police judiciaire comparaissent pour avoir passé un deal avec un voyou corse lors d’une garde à vue effectuée dans un dossier lié au Petit Bar. Leur défense : ce dernier serait un indic « officiel » de la PJ.
L’audience a bien failli ne jamais se tenir. Dans un premier temps, le parquet de Marseille avait envisagé de négocier une reconnaissance préalable de culpabilité, le « plaider coupable » à la
française. Aucun accord n’ayant été trouvé entre le procureur et les prévenus, dont certains sont rattachés à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), les débats publics se tiendront donc
bien au palais de justice de Marseille au printemps. Pendant trois jours, les 8, 9 et 10 avril, ces policiers, d’anciens membres du prestigieux Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) et de la direction de la police judiciaire d’Ajaccio vont être jugés pour avoir autorisé au cours d’une garde à vue José Menconi, une figure du banditisme insulaire et de Saint-Tropez, à passer un coup de fil à sa femme pour lui demander de cacher des objets compromettants se trouvant chez eux en échange d’informations.
Porosité entre policiers et voyous
José Menconi, 58 ans, et sa femme comparaîtront à leurs côtés. Electron libre du grand banditisme corse depuis sa jeunesse, cet ancien braqueur a été proche par le passé du clan bastiais de la Brise de Mer, d’Antonio Ferrara et plus récemment des membres du groupe criminel ajaccien du Petit Bar. A l’époque de leur révélation, les faits qui vont être jugés avaient provoqué une crise sans précédent entre les policiers les plus capés de France dans la lutte contre la criminalité organisée et les magistrats chargés d’instruire ces dossiers à Marseille et à Paris. En toile de fond de ce dossier apparaît en effet l’inquiétante porosité entre fonctionnaires de police et voyous qui vient, régulièrement, polluer des dossiers insulaires. L’affaire met également en lumière l’absence de réglementation claire autour des indicateurs de police, en révélant un arrangement aussi secret qu’illégal mis en place autour d’une enquête sensible et le dérapage, simultané, de sept policiers pourtant expérimentés.
Une taupe au sein de la police judiciaire
Les faits remontent à septembre 2020. Un coup de filet est alors lancé contre le clan du Petit Bar dans une enquête sur une tentative d’assassinat ayant visé Guy Orsoni, fils d’Alain Orsoni, l’ennemi historique du clan. Le matin des interpellations, les membres du noyau dur du Petit Bar ont déjà pris le maquis depuis plusieurs heures quand les policiers débarquent à leurs domiciles respectifs : ils ont été prévenus de l’opération pourtant top secrète – il ne reste que leur chef, Jacques Santoni, paraplégique. Au commissariat d’Ajaccio, c’est la fureur et le dégoût, alors que les policiers travaillent sur le dossier depuis deux ans. Le coup de filet visait aussi le second cercle du clan, dont José Menconi fait partie. Lui n’a pas pris la tangente. Il est donc placé en garde à vue car soupçonné d’avoir joué l’intermédiaire pour fournir la moto des hommes armés qui ont tenté de tuer Guy Orsoni.
A l’époque, José Menconi – surnommé « Pinocchio » dans le milieu – est sorti de prison depuis 2015, et il n’a aucune envie d’y retourner. Les policiers, eux, sont à cran, ils veulent savoir qui est la taupe dans leurs rangs. Menconi en profite pour marchander : il veut bien leur donner le nom du policier ripou qui a révélé l’opération à venir auprès de la bande du Petit Bar mais, en échange, ils doivent l’aider à enlever un gilet pare-balles, les quelques milliers d’euros et la voiture blindée rangés chez lui à côté de Saint-Tropez avant la perquisition qui s’annonce.
Sur écoutes à cause de l’évasion de Rédoine Faïd
Le deal est accepté après avoir été validé par l’état-major de la PJ d’Ajaccio. La direction parisienne de l’OCLCO, dont trois enquêteurs sont descendus à Ajaccio pour l’opération, ne sera pas mise
dans la boucle. José Menconi appelle donc sa compagne, et lui demande de se débarrasser des objets gênants : « Ecoute bien… Tu vas arriver à la maison… Tu l’appelles, tu lui dis qu’il vient chercher le 4×4 noir dans la nuit… Dans la chambre il y a un gilet… Tu le jettes ! Il y a aussi 2 à 3 000 euros, tu les gardes pas sur toi… Demain ils vont perquisitionner. » Sauf que dans le cadre d’une autre enquête visant Menconi (l’évasion de Rédoine Faïd en hélicoptère de la prison de Réau en 2018), cette femme a été placée sur écoutes par la PJ de Versailles. Sur les enregistrements, après avoir entendu Menconi lui donner des consignes, un enquêteur de l’OCLCO prend le combiné pour lui indiquer l’heure de la perquisition puis la rassurer in fine : rien n’a été découvert.
Branle-bas de combat. La juge d’instruction marseillaise en charge du dossier est rapidement prévenue et, dans les jours qui suivent, le petit monde policier et judiciaire corse et marseillais
connaît un tsunami sans précédent : la PJ est dessaisie des dossiers relatifs au Petit Bar, désormais confiés aux gendarmes. Tout l’état-major d’Ajaccio saute. Les plus grands connaisseurs des dossiers corses de l’OCLCO sont écartés et une enquête préliminaire est ouverte.
« Le top niveau des informateurs »
Tous les policiers concernés sont entendus par l’IGPN. Fait rarissime dans un dossier déjà hors norme : ils décident de dévoiler le véritable statut de José Menconi. S’ils ont accepté de dealer avec
lui, allant jusqu’à franchir la ligne rouge – ce dont ils conviennent pour certains –, c’est qu’ils ont d’excellentes raisons : l’homme est une source officielle de la PJ. Pas de l’OCLCO, ni de la PJ
d’Ajaccio, mais d’un policier haut gradé dont personne ne donnera le nom. Un indic. Un tonton. « Le top niveau des informateurs de la PJ », explique même un haut gradé de la PJ Corse. Il a déjà
donné des informations très importantes. Pour appuyer leurs dires, les policiers fournissent une liste des renseignements fournis par Menconi, et les résultats policiers qui s’en sont suivis. En septembre 2020, le jour fatidique du deal, il a d’ailleurs fourni l’identité d’une taupe au commissariat d’Ajaccio, un homme mis en examen depuis lors. « On se dit qu’on a réussi à identifier au moins un policier. C’est navrant et exaltant », témoigne l’un des policiers renvoyés devant le tribunal correctionnel au mois d’avril, pour expliquer ce dérapage. D’autant que le nom donné alors par Menconi venait conforter leurs doutes autour d’un fonctionnaire mis sous surveillance quelques jours plus tôt.
Des rendez-vous hors de tous cadres légaux déjà en 2018
Cette défense, inédite, pose de nombreuses questions. De tels deals sont-ils passés régulièrement, mais à l’abri des regards ? Pourquoi avoir décidé de dévoiler ainsi l’identité d’un indic et donc le
mettre en danger ? L’information sera nécessairement rendue publique lors des audiences. Sans attendre le procès, les déclarations des policiers au sujet de Menconi ont déjà été versées dans
d’autres procédures en lien avec la criminalité corse, le secret est donc déjà largement éventé. Contactée, Me Anne-Laure Compoint, avocate de plusieurs policiers dans ce dossier, n’a pas donné suite à nos appels. Me Louis Cailliez, l’un des autres avocats en défense, n’a pas non plus souhaité réagir. « Il était impossible de ne pas donner cette information, assure une source policière. Il fallait expliquer pourquoi, comment cet engrenage avait été rendu possible. » Au sein de l’institution policière, mais aussi judiciaire, José Menconi semblait en effet être considéré comme une bonne source de renseignement. Lors de son audition, l’un des enquêteurs a, par exemple, indiqué qu’en 2018 un juge d’instruction l’avait encouragé, dans un autre dossier, à effectuer des rendez-vous avec l’intéressé, afin d’évaluer les informations qu’il pouvait transmettre sur d’éventuelles taupes (déjà) au sein du commissariat d’Ajaccio. Des rendez-vous hors de tous cadres clairs, légaux et procéduraux.
Là encore les frontières avaient été franchies : un juge n’a statutairement pas le droit de décider avec quel indic les policiers peuvent traiter ou non. « Pourtant ce sont les policiers qui payent tout
ce dossier, il leur fallait bien se défendre, conclut notre source, qui ne nie pas que ce deal n’aurait jamais dû être passé en ces termes. Mais rappelons aussi que les objets cachés par Menconi n’ont rien à voir avec un quelconque délit, donc certes ce deal n’aurait pas dû être passé, mais il n’a rien compromis. »
« Menconi, il n’a jamais rien dit »
Du côté de la défense de Menconi, son avocat, Me Amaury Auzou, n’a pas souhaité faire de commentaires. « Je ne suis pas une balance, je ne suis pas un indic », a nié José Menconi, entendu
comme témoin en mai 2021 par une juge d’instruction dans un autre dossier, alors qu’il était interrogé sur les déclarations des policiers. « Ce sont des inventions ce que disent les policiers. » « Normalement, les policiers sont là pour nous protéger, et là, ils veulent me faire tuer, constate José Menconi, joint par “l’Obs.” Ils disent ça pour se protéger. Comment expliquer sinon qu’ils
m’ont laissé téléphoner pendant ma garde à vue ? Mais tout ce qu’ils disent est faux. Menconi, il n’a jamais rien dit. » Après sa comparution dans le dossier de Marseille en avril, José Menconi doit de nouveau être jugé au mois de mai par la cour d’assises d’Aix-en-Provence dans l’affaire du double meurtre de Bastia- Poretta. Il est accusé d’avoir été averti du projet criminel et d’y avoir apporté un soutien logistique.