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Un homme sorti du coma, un autre en prison : aux racines de la rivalité de deux associations à Villepinte

By 12 juillet 2024Actualités

Crédit @David Nicolas Parel

Le président du Boxing Club est sous les verrous pour avoir tabassé un dirigeant de l’association sportive locale, en décembre dernier. Toile de fond de ce tragique fait divers : les créneaux du gymnase Victor-Hugo, que se partageaient les deux structures.

La concurrence entre deux associations sportives de Villepinte a culminé le 15 décembre 2023 devant le gymnase Victor-Hugo. Sur une vidéo ayant circulé sur les réseaux sociaux, on distingue un homme qui assène de puissants coups de poing à un autre, à terre et sonné. Un déchaînement de violence comme peut en compter le MMA, une discipline légalisée en France en 2020, que pratiquent les deux protagonistes.

Romain L., l’agresseur, a passé son 32e anniversaire à Fleury-Mérogis (Essonne). Kévin Naïk, la victime, a été plongé plus de deux mois dans le coma. « Il pourrait rester dans un état quasi végétatif à vie », précise son avocat, Me Louis Cailliez.

Ce tragique fait divers, c’est l’histoire d’une concurrence entre l’Association sportive de Villepinte (ASV) et l’Association Boxing Club (ABC). Deux structures pour un objectif commun : encadrer, à travers la pratique des sports de combat, la jeunesse désœuvrée du Parc de la Noue, vaste copropriété parmi les plus dégradées de France, où le trafic de drogue côtoie la prostitution.

Kévin Naïk abandonné « dans une flaque de sang, devant ses enfants »

Sur son site Internet, l’ASV se targue de « toucher une cible intergénérationnelle (6-40 ans) qu’aucun autre service municipal n’arrive à accrocher ». Père de trois enfants, Kévin, la quarantaine, a quitté son Paris natal pour s’installer à Villepinte au début des années 2000. D’abord cantonnées au foot en salle, les actions de son association créée en 2005 se sont élargies aux sports de combat, puis à l’aide aux devoirs. « Kévin avait la volonté farouche d’aider les jeunes », confie Martine Valleton, la maire (LR) de Villepinte, proche de l’associatif. « Elle lui a donné les clés du gymnase », grince une élue.

Parmi les bénévoles que le fondateur de l’ASV a pris sous son aile figure Romain. En froid avec leur mentor, ce dernier et d’autres adhérents ont monté leur association concurrente en 2018. Selon eux, Kévin pouvait se montrer violent, notamment envers les plus jeunes. Le soir du drame, Romain aurait d’abord été « mis KO » avant de se venger quelques minutes plus tard, d’après ses proches. Le trentenaire a été mis en examen pour « tentative de meurtre ». « On aurait pu envisager une qualification pénale moins lourde car il n’y a jamais eu d’intention de tuer, estime son avocate, Me Corinne Dreyfus-Schmidt. Des coups ont été échangés de part et d’autre, ce qui a causé un problème au tympan de Romain. Ce n’est pas une affaire aussi simple qu’il n’y paraît. »

« Il s’est acharné sur Kévin Naïk au sol à grands coups de poing, de pied et de cutter dans les zones vitales, répond Me Cailliez. Il l’a laissé dans une flaque de sang devant ses enfants. » L’avocat liste les blessures de son client : traumatisme crânien avec hémorragie, perforation du rein gauche, pneumothorax… « Son pronostic vital a longtemps été engagé, rappelle-t-il. Il  est miraculé. » Romain aurait utilisé son cutter, qu’il conserve sur lui pour rafistoler son sac de frappe, pour se défendre, plaident ses parents. Martine Valleton jure n’avoir jamais constaté un quelconque comportement violent de la part de Kévin : « Il pouvait être impulsif. C’était un jeune de cité, mais il s’était apaisé avec les années. » Le photographe et réalisateur David Parel, qui le considère comme son « meilleur ami », est plus catégorique : « Je le connais depuis six ans. Il pouvait parler fort, il avait un côté frontal, mais jamais il n’a levé la main sur un jeune. Kévin a fait un travail colossal pendant vingt ans auprès de la population du quartier. Il était profondément aimé par cette jeunesse et en particulier par les plus petits. »

 Un « charisme » et un « bagout » qui « suscitaient des jalousies »

Le photographe dénonce « une campagne de diffamation » : « Il a du charisme, du bagout, il faisait beaucoup parler de son association par ses actions sociales et citoyennes, vante-t-il. Tout ça suscitait des jalousies. Entre la maire de Villepinte et lui, il y avait une vraie collaboration et un lien affectif fort, qui ne plaisait pas à certains. Kévin était capable de ne pas serrer la main d’un élu s’il estimait qu’il n’en faisait pas assez pour les jeunes. »

« C’est une histoire tragique qui montre comment, dans nos quartiers, des jeunes ne peuvent se définir que par leur club » analyse Mélissa Youssouf (EELV), élue d’opposition au conseil municipal dans lequel siégera la mère de Romain entre 2014 et 2020.

Une lettre anonyme à l’origine de créneaux supprimés

Avant le drame, Romain était inconnu de la police. « Il n’a jamais bu d’alcool ni fumé, il ne s’était jamais battu dans la rue », insiste l’un de ses compères de l’ABC, dont la jeunesse, admet-il, fut loin d’être aussi exemplaire. « Personne n’aurait pu lui prédire un avenir de quasi-meurtrier », abonde Mélissa Youssouf (EELV).

Dans les mois qui ont précédé l’altercation, le trentenaire a adressé des courriers tous azimuts pour réclamer des créneaux supplémentaires dans le gymnase Victor-Hugo. «On touchait les petits des Beaudottes, à Sevran, et de Tremblay, ce qui n’était pas le cas de l’ASV, affirme le responsable de la structure concurrente. C’était une association en devenir qui faisait de l’ombre à celle de Kévin. »

La situation s’était tendue à l’été 2023. S’appuyant sur une lettre anonyme décrite comme menaçante qu’elle attribue à Romain, la municipalité a porté plainte à son encontre et suspendu les quelques créneaux dont bénéficiait l’ABC. Son ex-président a alors redoublé d’efforts pour dénoncer les « largesses » de la ville à l’égard de l’association rivale.

« La mairie a laissé pourrir la situation »

Jusqu’à tomber dans un « délire obsessionnel et complotiste » et une « jalousie maladive », comme l’avance Me Cailliez ? En face, « Kévin avait le sentiment que les membres de l’ABC avaient une influence néfaste sur les jeunes du quartier » rapporte Martine Valleton.

C’est dans ce contexte que s’est produit ce que beaucoup à Villepinte considèrent comme inéluctable. « La mairie a laissé pourrir la situation » accuse le père de Romain. « On redoutait que quelque chose se produise mais on n’aurait jamais pensé que cela puisse aller aussi loin, répond la maire de Villepinte. J’avais demandé que l’ABC ait des créneaux ailleurs mais ça n’avait pas pu se faire et j’étais passée à autre chose. J’aurais dû imposer ce changement de gymnase. »

Source : Le Parisien, Alexandre Arlot, 12 juillet 2024