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« En finir avec cette théorie fumeuse d’un sacrifice désespéré » : révélations de Me Louis Cailliez au JDD sur les dernières heures du colonel Arnaud Beltrame
Dans une étude détaillée sur les circonstances de la mort d’Arnaud Beltrame, l’avocat de la famille du lieutenant-colonel de gendarmerie dévoile des éléments inédits sur la lutte l’ayant opposé au terroriste islamiste Radouane Lakdim. Et démonte l’idée selon laquelle le héros de Trèbes se serait « sacrifié ».
« Arnaud ne s’est pas sacrifié, il a combattu jusqu’à la mort. » Les mots prononcés par Nicolle Beltrame, la mère du lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, devant la cour d’assises spéciale de Paris le 29 janvier dernier, résonnent aujourd’hui différemment. Car c’est bien la piste d’une lutte à mort entre l’officier de gendarmerie et son bourreau, le terroriste islamiste Radouane Lakdim, qui se dessine. En marge du procès des attentats de Trèbes et de Carcassonne du 23 mars 2018 – outre Arnaud Beltrame, trois personnes ont été assassinées par Lakdim –, Me Louis Cailliez, avocat de la mère et des deux frères d’Arnaud Beltrame aux côtés de Thibault de Montbrial, a livré une analyse approfondie des dernières heures du lieutenant-colonel. « Il faut en finir avec cette théorie fumeuse d’un sacrifice désespéré, inconsidéré et quasi suicidaire d’Arnaud Beltrame. Cette idée véhiculée par certains vole en éclat à l’étude des éléments objectifs du dossier », confie-t-il au JDD.
Dans cette note détaillée de 19 pages se fondant sur le dossier d’instruction (enregistrements audio, constatations, auditions, autopsies, expertises balistiques) et les éléments nouveaux issus du procès qui s’achève ce vendredi 23 février, Louis Cailliez démontre qu’Arnaud Beltrame est parvenu à tirer sur le terroriste à l’aide de son pistolet Sig-Sauer dans la dernière partie de leur duel mortel, avant d’être lui-même assailli de coups de couteau au niveau de la gorge. Un tir qui aurait grièvement blessé Lakdim, expliquant l’absence de résistance de ce dernier au moment de l’assaut final donné par les gendarmes du GIGN, qui l’abattent de 4 balles dans la tête alors qu’il les attend assis au sol, complètement passif, le corps d’Arnaud Beltrame allongé sur lui. « Ce qui ressort avec force, et je pense l’avoir démontré rigoureusement, c’est que le lieutenant-colonel Beltrame a voulu sauver la vie d’une otage civile, puis neutraliser le terroriste, et enfin survivre. Il a réussi deux objectifs sur trois – les plus nobles – avec un courage doublé de sang-froid qui force l’admiration. De fait, quand le GIGN rentre, le terroriste est déjà HS ! », résume Me Cailliez.
« Discussion religieuse » avec le terroriste
La note rédigée par l’avocat de la famille Beltrame, que le JDD a pu consulter, est un document précieux pour retracer les dernières heures du lieutenant-colonel. Après s’être substitué à Julie, la caissière du Super U de Trèbes prise en otage par Radouane Lakdim, Arnaud Beltrame se retrouve seul à seul avec le terroriste dans la réserve du magasin, une petite pièce de 6 mètres de long sur 2 mètres de large.
Il est précisément 11h28 quand Arnaud Beltrame pénètre dans le petit réduit du supermarché dans lequel s’est replié Lakdim. Le gendarme a été contraint de remettre au terroriste son pistolet, un Sig-Sauer SP2022 de calibre 9mm. Le huis clos durera près de trois heures. Impossible de savoir ce que les deux hommes se disent durant ces longues heures de confrontation : aucun système de vidéosurveillance ou de captation sonore ne permet de documenter cette prise d’otage.
Seul fait notable, relevé par Me Cailliez, l’ADN d’Arnaud Beltrame sera plus tard identifié sur un papier retrouvé dans la poche du pantalon de Lakdim. Un papier sur lequel était écrit en arabe la sourate 109 du Coran, dite « Al Kafiroun » (les Infidèles), dont la traduction est la suivante : « Dis : “Ô vous les infidèles!” / Je n’adore pas ce que vous adorez. / Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. / Je ne suis pas adorateur de ce que vous adorez. / Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. / À vous votre religion, et à moi ma religion ». « Il est donc possible qu’Arnaud Beltrame ait touché ce papier à l’occasion d’une discussion religieuse avec Lakdim au cours du huis clos », suggère Louis Cailliez.
Douze minutes de lutte à mort
À 14h16, Arnaud Beltrame saisit un moment propice pour attaquer par surprise Lakdim, alors au téléphone avec les négociateurs du GIGN qui se trouvent à 800km de Trèbes, à Versailles-Satory dans les Yvelines. « Attaque… Assaut, assaut ! », hurle-t-il à destination de ses camarades au bout du fil. Ce cri audible lors de la diffusion de cet audio au cours du procès, n’a pas été compris comme tel par les négociateurs du GIGN. La discussion avec Lakdim laisse alors place à une absence de réponse et des sons étouffés, des bruits de lutte et des râles. L’avocat relève que douze minutes séparent ce premier cri d’assaut de Beltrame de l’entrée effective des forces d’intervention de la gendarmerie dans le petit réduit du supermarché à 14h28. Douze interminables minutes de lutte à mort entre le lieutenant-colonel et le terroriste au cours desquelles il répètera de nouveau, à au moins deux reprises : « Assaut ! » En vain.
Les rapports d’autopsie retranscrits par Me Cailliez donnent une idée de l’extrême brutalité de cette lutte à mort. Outre des fractures du nez et d’une dent, de nombreux hématomes, ecchymoses, lésions, coupures et lacérations retrouvés à de multiples endroits sur le corps d’Arnaud Beltrame sont autant d’indices d’une lutte acharnée, de même que les nombreuses blessures coupantes et contondantes retrouvées sur le corps du terroriste.
Surtout, tout porte à croire qu’Arnaud Beltrame serait parvenu à s’emparer à nouveau de son pistolet Sig-Sauer (préalablement donné à Lakdim au moment de l’échange avec l’otage) pour faire feu sur Lakdim. Et pour cause, outre les quatre plaies reçues à la tête au moment de l’assaut du GIGN, un cinquième impact, non-létal, a été identifié par les médecins-légistes comme entrant au niveau de la clavicule gauche de Lakdim et transperçant son ventre pour se nicher dans le bas de son dos. « Le projectile en question a été extrait du dos de Lakdim lors de l’autopsie et analysé par un expert judiciaire balistique qui a conclu que ce projectile était issu d’une cartouche de 9 mm […] en dotation dans la Gendarmerie Nationale », relève Me Cailliez. Par conséquent, ce tir n’a pas pu être projeté par le fusil d’assaut du GIGN, ni par le pistolet de Lakdim (7,65 mm) mais par un pistolet de calibre 9 mm, tel que celui porté les intervenants du GIGN… ou le Sig Sauer appartenant à Arnaud Beltrame.
Or, l’avocat relève qu’un étui percuté par ce même Sig Sauer a été retrouvé au sol dans le local où a eu lieu le duel mortel… mais pas son ogive. Et que le légiste a été formel : puisqu’un écoulement de plus d’un litre de sang a été constaté dans le ventre de Lakdim, cette blessure est nécessairement intervenue plusieurs minutes avant les plaies balistiques létales dans sa tête. Tout s’explique selon l’avocat : tirée par Arnaud Beltrame à 14h25, soit plusieurs minutes avant l’assaut du GIGN à 14h28, l’ogive introuvable du Sig Sauer est donc bel et bien cette balle retrouvée dans le dos de Lakdim. Thibault de Montbrial l’a plaidé devant la cour d’assises vendredi 16 février dernier : « Arnaud s’est donc battu comme un lion, il ne s’est pas sacrifié mais il est allé, en officier de l’armée française, au combat contre un terroriste islamiste. »
« Son acte est une expression de l’âme de notre peuple »
Au moment où le GIGN pénètre dans le réduit du Super U, Arnaud Beltrame est encore vivant. Il est blessé par deux tirs du pistolet de Lakdim (un Ruby de calibre 7,65 mm) ainsi que par 16 plaies par arme blanche, dont plusieurs ont sectionné sa trachée. Il meurt quelques heures plus tard à l’hôpital de Carcassonne. Pour Louis Cailliez, il est essentiel de rendre compte du courage exceptionnel d’Arnaud Beltrame : « Il en a payé le prix ultime, mais cet officier s’était préparé toute sa vie à cette possibilité. Dans l’attente de l’assaut de ses camarades, il est parvenu à neutraliser le terroriste, en lui tirant dessus. L’hommage dû à la vérité et à sa bravoure inouïe est de le dire et de le transmettre. Des décennies après ce procès, il sera toujours vivant, plus que jamais vivant, car son acte est une expression de l’âme de notre peuple », conclut l’avocat.
« Enfin quelqu’un qui a du courage, enfin quelqu’un qui n’est pas lâche ! », disait déjà Nicolle Beltrame le 29 janvier dernier.