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La défense du commissaire Chassaing plaide la relaxe au plus près du dossier
Le Figaro – Stéphane Durand-Souffland
Au lendemain du réquisitoire à deux voix du ministère public, la défense du commissaire Grégoire Chassaing s’est exprimée, vendredi matin, devant le tribunal correctionnel de Rennes. Me Louis Cailliez est un jeune homme svelte, visage avenant et chevelure indomptable. Il n’en a jamais fait mystère : il est venu plaider la relaxe. Il s’y emploie pendant une heure et demie avec beaucoup de talent.
Me Cailliez évite soigneusement de revenir sur les déclarations les moins inspirées de son client à l’audience. Poursuivi pour homicide involontaire au préjudice de Steve Maia Caniço, le divisionnaire avait en effet soutenu à la barre qu’au cours de la nuit du 21 au 22 juin 2019, il n’avait pas vraiment pris conscience de la gravité de la situation quai Wilson, à Nantes, aux alentours de 4h30 du matin. Les témoignages des participants à la Fête de la musique et les images visionnées rendent cette version peu convaincante.
Cela ne fait pas pour autant du prévenu un coupable. Me Cailliez réplique point par point à l’argumentation étayée du vice-procureur Tanguy Courroye. Selon lui, il est impossible d’établir «un lien de causalité certain entre l’action ou la non-action de Grégoire Chastaing et le décès de Steve Maia Caniço» tombé dans la Loire où il s’est noyé. «Mal nommer ce qui s’est passé, c’est ajouter une injustice au malheur», lance l’avocat après avoir cité Camus.
Il s’en prend à la notion de lien causal. «S’il est diffus, déduit, c’est la relaxe», pose l’orateur. Et d’avancer «neuf éléments» qui prouvent, de son point de vue, que la chute de la victime est «sans rapport» avec les opérations policières engagées. Reprenant les témoignages recueillis auprès de «teufeurs» pacifiques, Steve Maia Caniço, «très fatigué, s’était assoupi à un mètre de la bordure du quai». «Il est inenvisageable qu’il soit retourné danser, il a pu tomber tout seul, par accident, près de l’endroit où il dormait».
Par ailleurs, Me Cailliez croit pouvoir affirmer que la première salve de grenades lacrymogènes, à 4h31, n’était pas suffisante pour incommoder la victime là où elle se trouvait. Steve Maia Caniço est tombé dans le fleuve à 4h33 ; l’avocat soutient qu’il avait déjà été emporté par le courant lorsque la seconde volée de grenades, à 4h34, qui celle-là aurait pu le suffoquer, a été déclenchée. «Rien n’établit qu’il a été exposé au gaz, il n’y a pas de preuve scientifique», souligne l’avocat.
Il n’existe pas de preuve du contraire non plus, le corps du jeune animateur périscolaire n’ayant été retrouvé, très dégradé, qu’un mois plus tard. Mais le doute doit profiter à la défense et c’est son bénéfice qu’elle réclame, à tout le moins.
Me Cailliez entreprend ensuite de faire litière des trois «fautes caractérisées» reprochées à son client par la prévention. Il développe l’idée que M. Chassaing n’a jamais voulu «en découdre» avec le «DJ récalcitrant» qui refusait de couper le son de son mur d’enceintes. Et de citer des messages du commissaire passés sur les ondes radio : «On va leur demander gentiment», «on va faire baisser la pression». «Vous ne trouverez au dossier aucun acte positif manifestant» une intention belliqueuse du chef, sur le terrain, du dispositif policier, indique la défense au tribunal.
En ce qui concerne un usage disproportionné de grenades lacrymogènes (les «MP7»), Me Cailliez insiste : «Il y a zéro ordre, zéro consigne, zéro instruction» de son client. Si des fonctionnaires ont lancé des MP7, c’est «d’initiative, sans consigne, en riposte à quelque chose de brutal» (le soulèvement de quelques dizaines d’énergumènes furieux à l’idée que la Fête de la musique était terminée). Il s’agirait là de «légitime défense et de chacun pour soi».
Enfin, troisième «faute caractérisée» figurant dans la prévention : la progression de policiers casqués, préférée à un repli en règle. «Le commissaire Chassaing voit ses effectifs éparpillés, il les rassemble et ils avancent. Une décision critiquable ne peut pas être assimilée à une faute caractérisée. Il n’y a pas de ’’bond offensif’’. Peut-être un jour des robots dirigés par une intelligence artificielle assureront-ils le maintien de l’ordre» – mais ce n’était pas le cas à Nantes en juin 2019.
Me Cailliez discerne tout au plus dans le comportement général du divisionnaire «une faute civile déguisée» en faute pénale par le parquet, ce qui sous-entend habilement que son client n’est pas un être irréprochable. À juste titre, il ironise sur la «peine de principe» laissée à l’appréciation du tribunal demandée jeudi par le procureur de Rennes Philippe Astruc, maillon faible du tandem représentant le ministère public. «Il s’en lave les mains», commente l’avocat. Peut-on lui donner tort sur ce point ?
Le tribunal présidé par Marianne Gil, extrêmement attentif pendant les prises de parole de la partie civile, du parquet et de la défense, rendra son jugement le 20 septembre.