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EXCLUSIF. La sœur de Samuel Paty et son avocat Louis Cailliez reviennent, pour « Le Point », sur les peines prononcées contre les mineurs mis en cause dans l’attentat ayant coûté la vie au professeur en 2020.
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie de 47 ans, était assassiné par le terroriste islamiste Abdoullakh Anzarov, à quelques mètres de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), pour avoir montré, lors d’un cours sur la liberté d’expression, des caricatures de Mahomet à ses élèves. Épilogue d’un engrenage mortifère de onze jours, nourri de mensonges, de dysfonctionnements et d’une montée kafkaïenne de la rumeur.
Trois ans plus tard, le premier volet du procès, qui s’achevait le 8 décembre au tribunal pour enfants de Paris et jugeait six adolescents – dont cinq d’entre eux pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des violences aggravées » et une pour « dénonciation calomnieuse » –, les condamnait à des peines de quatorze mois de prison avec sursis à deux ans, dont six mois ferme aménagés sous bracelet électronique. Huit adultes auront, quant à eux, à répondre de leurs actes, en novembre et décembre 2024.
Quelques jours après le verdict, Mickaëlle Paty, sœur cadette du professeur, et son avocat, Me Louis Cailliez, s’expriment en exclusivité pour Le Point. Ils reviennent sur les peines prononcées, le huis clos de ce chapitre judiciaire, et partagent leur constat sur l’état de l’école et « l’idéologie islamique qui y prospère » aujourd’hui, alors que les menaces contre les professeurs se multiplient et que l’un d’eux, Dominique Bernard, mourrait à son tour sous les coups d’un terroriste, en octobre dernier.
Le Point : Vous vous exprimez très peu dans les médias. Pourquoi le faire aujourd’hui ?
Mickaëlle Paty : J’aurais pu le faire après l’annonce des condamnations mais je voulais laisser passer le temps de l’émotion et pouvoir mettre les mots les plus justes sur ce premier volet judiciaire. Je refuse d’ailleurs de me présenter comme victime : ce statut n’est pas le mien mais celui de Samuel. Et c’est pour lui que je m’exprime aujourd’hui. Nous avons passé notre vie en désaccord et c’est une façon de lui dire que, désormais, je suis d’accord avec tout ce qu’il a fait…
Mais ma parole dépasse la simple démarche personnelle car je parle aussi pour notre intérêt commun. J’ai l’espoir, au fond, de pouvoir faire bouger les lignes. Avec tous ceux qui sont sur ma ligne. Toute notre enfance, mon frère et moi avons joué aux échecs. Il était de cinq ans mon aîné, et que je perde ou qu’il me laisse gagner, je faisais voler l’échiquier ! Voilà pour mon tempérament (elle sourit). Je préfère dire ma colère qu’étaler ma douleur.
Après l’attentat terroriste ayant coûté la vie au professeur Dominique Bernard, on est en bon droit de se demander : qu’avons-nous fait concrètement pour que cela ne se reproduise pas ? C’est simple, j’ai le sentiment que nous avons perdu trois ans ! Et si nous continuons ainsi, d’autres professeurs seront assassinés. Car nous ne sommes pas dans « l’après »-Samuel Paty, mais encore dans le « pendant »…
Est-ce à dire que rien n’a changé depuis la mort de votre frère ?
Les perturbations recensées lors du dernier hommage qui lui a été rendu, le 16 octobre dernier – soit trois jours après l’attentat d’Arras –, parlent d’elles-mêmes. Et la dernière enquête de l’Ifop menée sur le sujet en atteste : 38 % des musulmans de 15 à 17 ans n’expriment pas une condamnation totale à l’égard de l’assassin de Dominique Bernard. C’est deux fois plus que chez les musulmans adultes.
Force est de constater que certains refusent purement et simplement de faire société avec nous. Je ne prétends pas avoir la solution au problème mais je trouve que l’on ne condamne pas assez fermement les normes prônées par l’islamisme, qui s’opposent en tout à nos valeurs universalistes, notamment à notre laïcité. Et j’ai peur que, sans réponse ferme, cela finisse par très mal tourner.
J’ai pu lire récemment que les enseignants avaient « une cible dans le dos ». Il est vrai que mon frère a été tué dans le dos, mais il est aussi vrai que les offensives islamiques et les menaces de mort se font en face. Et il me semble hors sol de penser que la bienveillance et le dialogue soient une réponse adaptée au péril. Car ces actions menées contre l’école et nos professeurs ne sont pas le fait d’individus ayant un défaut de compréhension… Il y a une obstination à refuser de les voir comme une mise à l’épreuve et d’admettre combien l’idéologie islamique qui guide certains élèves menace l’école. La formation à la laïcité des professeurs est impérative mais il est aussi vital de nommer le mal et d’éviter la dissémination des cellules cancéreuses de cette idéologie, qui prospère désormais partout en France.
Je ne vois pas nos responsables traiter efficacement le problème de ces jeunes endoctrinés à la naissance, qui grandissent dans la haine de l’autre et s’autorisent toute liberté à la déverser, notamment sur les professeurs.
Quand cette professeure des Yvelines a été diffamée, il y a peu, pour avoir montré en classe un tableau de la Renaissance, l’Éducation nationale a réagi, comme l’ont fait ses collègues, qui ont compris qu’il fallait faire front – ce qui a fait défaut à mon frère. Mais je ne vois pas nos responsables traiter efficacement le problème de ces jeunes endoctrinés à la naissance, qui grandissent dans la haine de l’autre et s’autorisent toute liberté à la déverser, notamment sur les professeurs. Une minorité bruyante et agissante, opposée au « vivre ensemble » que l’on s’efforce encore à appeler de nos vœux. Et décidée à faire régner sa loi, jusqu’à menacer certains d’entre eux de leur « faire une Samuel Paty » – car mon nom de famille est devenu une menace de mort…
Dans quel état d’esprit, vous et votre famille, vous trouvez-vous après ce premier procès qui vient de s’achever ? Et comment avez-vous reçu le jugement du tribunal ?
Ce premier volet a été une épreuve. Il y a eu des mots blessés de la part de mes proches mais aussi des mots blessants de l’autre côté de la barre, qui nous ont obligés à quitter la salle en pleine plaidoirie de la défense. Il y a eu de rares mots bons et dignes et beaucoup de mauvais. Mais ces mots sont condamnés au silence, à être tus du fait du huis clos, alors même qu’il y a trois ans, les mots de la calomnie ont, eux, été bruyants jusqu’à la mort de mon frère. Ces mots assassins qu’on n’a pas voulu faire taire par crainte des « vagues »…
Il reste de l’incompréhension après ce procès, avec le sentiment d’une deuxième chance accordée bien facilement alors qu’on a ôté à mon frère la sienne. C’est peu dire que les condamnations des mis en cause nous paraissent légères au regard des conséquences. Il n’y a pas de justice, disait Camus, il n’y a que des limites. Mais que reste-t-il des limites si on les franchit presque sans incidence ? Pour moi, la clémence de ce jugement, qui privilégie l’éducation plutôt que la punition, n’envoie pas le bon message.
J’ai un temps pensé, à la mort de Samuel, qu’il y aurait un sursaut pour tendre au « plus jamais ça » et qu’on œuvrerait en ce sens. Mais si même la justice ne sévit pas, alors qui sera dissuadé de désigner, intimider ou menacer des professeurs ? Mon frère a toujours dit qu’il voulait que sa vie et sa mort servent à quelque chose. Au sortir du procès, nous avions le sentiment que sa mort n’avait servi à rien… J’espère que ces mineurs ne s’estimeront pas pardonnés par cette faible condamnation car ils ont une dette envers la société, non mesurable pénalement.
Me Louis Cailliez : J’avais prévenu Mickaëlle : la primauté de l’éducatif sur le répressif est consubstantielle au tribunal pour enfants. Je n’en partage pas moins sa déception quant à l’excès de clémence dans une affaire d’une telle gravité. Certes, avec des mineurs délinquants, on est toujours tenté de se dire que l’espoir est un risque à courir, et, de ce point de vue-là, les mesures éducatives prononcées par le tribunal ont des vertus indéniables en termes de réinsertion. Mais j’estime qu’il faut savoir conjuguer l’espoir avec la fermeté, parce que la fermeté est justement le prérequis du relèvement moral et de la seconde chance pour un jeune qui veut se racheter.
Regrettez-vous, comme Mickaëlle Paty, le message envoyé ?
L. C. : Le huis clos n’est pas un vase clos. Cette décision était attendue. La résonance était inéluctable. On parle d’une affaire inédite qui a sidéré, bouleversé et traumatisé toute une société. Or, il est clair qu’il manque dans les peines prononcées une dimension punitive vraiment dissuasive pour les justiciables du monde scolaire : élèves, enseignants, encadrants, parents d’élèves… Et pour cause, la peine prononcée à l’encontre de Zohra* – menteuse obstinée et calomnieuse acharnée sans qui Samuel Paty serait encore en vie – ressemble plus à une réprimande indulgente qu’à une sanction électrochoc. Il faut quand même se rendre compte de ce qu’on leur annonce : la justice française accorde un sursis intégral à la première responsable de la cabale islamiste ayant mené à la décapitation d’un professeur ! C’est incompréhensible. La perspective d’une fermeté pénale absolue en cas d’atteinte à un cheveu d’un professeur devrait être une certitude pour tout collégien, alors que la France est confrontée à une flambée de violences dans l’enceinte de l’école. L’occasion est manquée…
L’un des adolescents mis en cause a quand même dit qu’il trouvait amusant que mon frère soit passé à tabac et humilié sur les réseaux sociaux.
Que vous ont inspiré les adolescents mis en cause, à la barre ?
M. P. : Il n’a pas été prouvé qu’ils ont su qu’Anzarov allait décapiter mon frère mais « seulement » qu’il allait le violenter. L’un d’eux a quand même dit qu’il trouvait amusant qu’il soit passé à tabac et humilié sur les réseaux sociaux. C’est très préoccupant et symptomatique d’une certaine jeunesse capable d’actes contre des professeurs encore impensables il y a quelques décennies. Sur les six mis en cause, cinq s’en sont tenus à un « pardon ».
Mais demander des excuses n’est pas tout, il faut aussi exprimer des regrets, faire preuve d’empathie. Seul l’un d’eux, lors d’une suspension d’audience, a eu le courage de venir nous voir. Lui a tiré les leçons de ce que certains ont appelé une « bêtise » (ton ironique). Il m’a redonné espoir et a été la lumière dans toute l’obscurité de ce procès. Alors je lui ai demandé de faire quelque chose de sa vie, de le faire pour Samuel. Lui qui voulait faire de chaque élève un adulte éclairé, œuvrant au bien commun.
L. C. : La question de l’empathie à l’égard de la famille Paty a, en effet, été scrutée. Et pour cause, le point commun de ces adolescents a été leur manque abyssal d’empathie à l’égard d’un professeur, qu’ils appréciaient par ailleurs. Il y a eu chez eux une dissociation mentale sidérante entre leur intérêt égoïste immédiat et le mal causé à ce dernier. Or, trois ans plus tard, on est bien forcé de déplorer la persistance d’une empathie sélective pour certains d’entre eux…
Il faut dire qu’ils ne sont pas aidés par certains adultes qui les ont baignés dans la culture de l’excuse et du déterminisme, alors même que la clef de voûte du droit de la responsabilité pénale, y compris chez les mineurs d’au moins 13 ans, est le libre arbitre. Cette irréductible liberté de choix de commettre un délit. Il est louable que la justice cherche à comprendre, à sonder leur intériorité et à apprécier leur volonté consciente et discernante. Mais en dressant un rideau déresponsabilisant de justifications, on en arrive parfois au point de les rendre eux-mêmes quasiment « victimes » des faits qu’ils ont commis. Alors qu’il n’y avait aucune fatalité : n’oublions pas que d’autres collégiens ont, eux, refusé de pactiser avec cet homme vêtu de noir venu de loin pour trouver Samuel Paty afin de « venger le prophète ».
Mickaëlle Paty, vous vous rendez aujourd’hui dans des établissements scolaires pour parler aux élèves de laïcité. Racontez-nous…
Pour être tout à fait sincère, je me suis un peu forcée lorsqu’on m’a invitée, pour la première fois, à intervenir dans un collège. D’autant plus que les élèves dont je devais aller à la rencontre étaient de l’âge de ceux qui ont dénoncé Samuel. J’étais fâchée avec les adolescents en général, ils avaient perdu ma confiance. Mais j’y ai été si bien accueillie – ils m’ont même escortée jusqu’à la sortie – que j’ai décidé de renouveler ces interventions. Si seulement je pouvais poser ma pierre, participer, même un peu, à la construction de ces élèves, comme le faisait Samuel… J’ai d’ailleurs proposé à l’adolescent mis en cause dans le procès des mineurs dont je parlais précédemment de témoigner à mes côtés. Ce qu’il a accepté. L’avenir nous dira si c’était seulement une belle promesse.
Qu’attendez-vous du second volet du procès, qui jugera les adultes, en novembre et décembre 2024 ?
Il est encore un peu difficile de m’y projeter. Nous avons été prévenus qu’il serait assez violent et qu’il faudrait s’attendre à tout en termes de défense et d’agissements. Mais je ne veux pas d’une justice clémente et j’attends, cette fois, des condamnations à la hauteur. Si l’on peut donner une deuxième chance aux mineurs, elle apparaît inenvisageable avec ces adultes. Qui, eux, ne pourront pas invoquer l’erreur de jeunesse…
* Le prénom a été modifié.