Photo : Freepic
Au dernier jour d’audience, les avocats de la famille de l’homme de 33 ans, mort en mars 2015, ont dénoncé les «violences graves» des forces de l’ordre dans leurs plaidoiries, tandis que les conseils des trois policiers ont demandé la relaxe de leurs clients.
Assis sur les strapontins de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, les trois policiers restent stoïques. Le major Didier M., 62 ans, désormais retraité, le brigadier-chef Sébastien P., 47 ans, et le gardien de la paix Anthony B., 45 ans, écoutent, comme figés, les premières plaidoiries du procès sur la mort d’Amadou Koumé. Au cours de trois journées d’audience, le tribunal s’est attelé à démêler les responsabilités de ces trois agents dans le décès de cet homme, tué dans la nuit du 5 au 6 mars 2015, lors d’une interpellation. Amadou Koumé se trouvait alors dans un bar, le Hide Out, près de la gare du Nord à Paris, lorsqu’il a été pris d’une crise de démence. Selon le rapport final d’expertise médicale, le décès d’Amadou Koumé est dû à une «asphyxie mécanique lente», provoquée par les «manœuvres d’étranglement», «l’emploi de gestes de contrainte pour l’empêcher de bouger» et le «maintien prolongé de son immobilisation ventrale mains menottées dans le dos». Des faits d’«homicide involontaire», selon la qualification juridique retenue à l’issue de l’instruction.
«Violences extrêmement graves»
Une infraction insuffisante pour la famille d’Amadou Koumé. «Vous devez juger des violences, extrêmement graves, extrêmement longues, sur une personne vulnérable», débute maître Hector Cerf, le conseil, avec Eddy Arneton, des proches du défunt. Dans sa plaidoirie, l’avocat dénonce une interpellation «injustifiée» et une «absence de dialogue qui laisse place à la violence, une violence automatique». Puis évoque la «concertation frauduleuse» des policiers qui expliquaient, au début de l’enquête, qu’Amadou Koumé avait «bousculé» les agents, qu’il «s’était mis en garde» comme un boxeur. Des affirmations démenties par les images des caméras de vidéosurveillance.
«Comment ces trois hommes n’ont pas eu la présence d’esprit d’arrêter leur intervention, comment ces trois hommes ont pu ce soir-là se transformer en tortionnaire inattentif, comment ces trois hommes ont-ils pu se ce soir-là perdre leur humanité», questionne Eddy Arneton dans sa plaidoirie. Car, dit-il, les policiers «pensaient qu’ils avaient entre les mains une bête, un animal». L’avocat évoque notamment le terme de «grognement» utilisé par l’un des prévenus lors de la première journée d’audience pour décrire le bruit que faisait Amadou Koumé durant son agonie.
«Ces hommes sont peut-être aussi les enfants de théorie fumeuse, reprend Eddy Arneton. Ils sont engoncés peut-être dans ce que d’aucuns ne cessent de nous vendre, l’ensauvagement de la France, à force de croire qu’on a affaire à des sauvages, à des animaux, on agit avec sauvagerie. Ils ne lui ont laissé aucune chance, pas une seule. Du début à la fin, ce fut de la sauvagerie.» En chute de sa plaidoirie, l’avocat espère que la décision du tribunal pourra contribuer à «mettre un terme au cycle infernal de ces marches blanches pour morts brunes».
«Apparence de danger»
Même si la procureure de la République Aude Duret souhaite que la décision du tribunal apporte de «l’apaisement» à la famille d’Amadou Koumé, ses réquisitions tranchent avec la lecture du dossier des parties civiles. Pour le ministère public, c’est bien d’un «homicide involontaire» dont il s’agit ici. Aude Duret estime qu’il y avait bien une «apparence de danger» dans la situation à laquelle ont fait face les policiers. Alors la procureure de la République voit une «faute pénale unique», celle «d’avoir laissé en décubitus ventral [sur le ventre, face contre terre, ndlr] Amadou Koumé, alors qu’il était menotté dans le dos, sans qu’on ne s’occupe jamais de son état de santé».
Cela étant posé, chacun des mots de la procureure va désormais préparer l’auditoire à la faiblesse des peines requises au regard de l’issue fatale de l’interpellation. L’infraction d’homicide involontaire est punie, tout au plus, d’un emprisonnement de trois ans, rappelle le ministère public. Puis, les peines doivent être «le reflet de la faute, et non pas des conséquences irréversibles qui sont attachées à cette faute». Alors, Aude Duret demande au tribunal de condamner les trois policiers à une peine d’un an de prison avec sursis, sans aucune interdiction professionnelle. «Je sais que cette réponse n’est pas satisfaisante pour les parties civiles», conclut-elle.
Les plaidoiries des avocats de la défense débutent par celles de Louis Cailliez et Thibault de Montbrial, conseils du brigadier-chef Sébastien P., qui a dans un premier temps exercé une pression dans le dos d’Amadou Koumé, puis l’a maintenu face contre terre. Cet agent, membre d’une brigade anticriminalité (BAC), est aujourd’hui à la tête de 70 effectifs dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Ce 5 mars 2015, «il a accompli les diligences normales, raisonnablement attendues», défend Louis Cailliez. Les risques intrinsèques à la position de «décubitus ventral» dans laquelle Amadou Koumé a été maintenu pendant plus de six minutes dans le bar ? Il n’en avait «aucune connaissance», assure son avocat, «personne à la BAC ne savait». Mais pourquoi le laisser au sol, sur le ventre, mains menottées dans le dos et jambes entravées par un collier de serrage en plastique ? «Un individu qu’on assied, même menotté, dans le dos, et aux pieds, peut toujours réagir.»
«La justice prévaut sur les passions»
Thibault de Montbrial arrive à la barre pour sa plaidoirie avec une panoplie de mots pour justifier la brutalité des agents. Pour lui, la résistance d’Amadou Koumé à son interpellation constitue «des violences, mais sans les coups». Alors que l’avocat voit des «pas de danse» lors qu’il s’agit de décrire les gestes des agents pour mettre au sol Amadou Koumé. Thibault de Montbrial demande donc une «relaxe pédagogique», une «relaxe apaisante» pour son client. Car «la justice prévaut sur les passions».
«Vous n’êtes pas un cercle de réflexion sur comment doit intervenir la police, votre seul cadre c’est le code pénal», débute l’avocat Jérôme Andrei, qui défend Anthony B. Ce policier, également membre de la BAC, est celui qui a étranglé à plusieurs reprises Amadou Koumé. Son conseil demande la relaxe et critique notamment les déclarations des formateurs entendus au cours de l’enquête. Ces derniers assurent que les policiers étaient prévenus des risques de la position de «décubitus ventral». «Y a un phénomène assez répandu dans l’administration, c’est le parapluie, dit Jérôme Andrei. Vous croyez que les formateurs vont venir dire : on n’a pas informé les stagiaires des dangers de cette position alors qu’ils peuvent voir leur propre responsabilité engagée par l’administration, voire par la justice ?»
Le conseil du major Didier M., Frédéric Gabet, argumente de son côté que «personne n’a vu les signaux d’une détresse respiratoire». L’avocat demande lui aussi la relaxe de son client et laisse le tribunal avec une question à propos des déclarations unanimes des agents intervenus dans le bar ce soir-là : «Comment seize policiers qui voient la même chose peuvent-ils se tromper ?» La décision sera rendue le 20 septembre.